Poèmes de ‘Sania R.’

L’amitié

Thursday, March 25th, 2010

L’amitié

Le métro entre en gare
J’ouvre la porte sur ton regard
Ta gueule cassée, ton air mutin
Ta chienne planquée sous le strapontin

Tu me parles, je me défile
Le front fendu, la voix amie
Tu parles et je perds le fil
De ton récit enfantin

Le sang séché sur ta trogne
Te fait une drôle de pomme
Qu’on a envie de croquer
Comme le cul d’un ange

Tu me dis « Garde ton argent,
Je veux juste parler aux gens
Surtout quand ils me sourient
Comme tu me souris »

Tu me racontes tes déboires
Comme à une vieille amie
Et tu n’écoutes pas mes questions
Mais tu réponds, à qui ?

À ton ami intérieur, sans doute
Dont je suis le fugace miroir
Qui apparaît ici, où se pose ton regard
Ou là, dans l’oreille qui t’écoute

Station Alésia, tu descends
Tu bifurques vers d’autres départs
Et tu me laisses seule
Parmi tous ces gens.

Mars 2010

Rupture

Monday, March 15th, 2010

Rupture

Je me suis dit…

Que j’allais sortir
M’arracher à ce marasme
Aller faire le trottoir
Jusqu’à m’user les godasses

Que j’allais bien finir par mourir
Puisque notre amour n’est plus
Et que le sens a perdu

Je me suis dit…

Que j’allais m’arracher les dents
Une à une
Pour tuer le temps
Pour chaque jour où j’ai mal
Comme on achève Sardanapale

Et quatre à quatre
Gravir les marches
De l’escalier descendu
Et faire les comptes
De ce qui ne marche plus

Aimerai-je encore après le meilleur ?
Non.
Ai-je survécu au pire ?
Non plus !

Alors je crève de honte
Je me retrouve nue
Je me pince fort

Mais heureusement têtue
Je dis…

« Notre amour n’est plus
Vive la mort ! »

Montrouge, mars 2010

Tête nue

Saturday, February 27th, 2010

Tête nue

Coupe tes cheveux
Femme
Coupe tes cheveux
Et envole-toi !
Enlève ta couronne
Et deviens reine
Ton pouvoir
C’est ta liberté !
Tu es l’anti-Samson
Ta force est dans ton crâne
Coupe ta chevelure de feu
Et deviens flamme !
Sors de ton écrin
Et attrape tes ciseaux
L’Homme a inventé l’outil
Pour libérer la femme !
La nature de Pandora
C’est d’être sauvage
Coupe ta crinière
Et envole-toi légère
Sur la croupe de ton étalon
Galope, galope !
Tu prendras du galon
Coupe tes rênes
Laisse monter le sang qui te déchaîne
Arrache ta bride avec les dents
Et galope face au vent !
Parcours le monde
Fière et cavalière
Explore ta colère !
Ignore les mendiants
Qui viendront t’implorer
Combats les tyrans
Qui voudront te dompter !
Va jusqu’au bout de la Terre
Et reviens la tête rasée
Pleine de conquêtes de liberté
Reviens entière !

Montrouge, février 2010

Ode à la joie

Saturday, February 27th, 2010

Ode à la joie

Figée dans ma tristesse
Comme dans la graisse
Je veux tuer ce rire
Qui m’agresse

La joie est parfois déplacée
Lorsqu’elle est vomie

Il n’y a rien de sacré
Place aux vivants
Giflons les macchabées
Pétons sur les mourants

Achevons tous les malades
À coups de boutades

La joie est parmi nous
Rions ! Rions ! Rions!
Et si les larmes viennent
Alors pleurons de joie.

Montrouge, janvier 2010

La formule

Saturday, February 27th, 2010

La formule

J’apprends à capter la douceur de vivre
À capturer le plein dans le vide
Et je lâche le vain

Un souffle nouveau emplit ma poitrine
Je n’ai plus l’air de rien
Je me contente de vivre

D’être bien

Je prends chaque instant
Et je l’entretiens
Comme un feu quantique
Une formule magique
Sans fin

Je ne suis plus en quête
Je joue à la roulette
Et je trinque

Je rebondis sur la ponctuation
Je ne vois plus les points
Je pratique l’extraction

Du bien

Dans la moelle de l’existence
J’y vais avec le ventre de la cuiller
Plus rien n’est amer

J’ai faim

J’écris chaque ligne du menu
Assise au soleil sur un banc
À me chauffer le cul

Je commande la formule enfant
Avec la glace au citron

Garçon !

Montrouge, janvier 2010

Qu’attend-on de la vie à 30 ans ?

Saturday, February 27th, 2010

Qu’attend-on de la vie à 30 ans ?

Tout ce qui m’excitait
Est devenu accessible.
Je cherche un rêve à réaliser,
Je n’en trouve plus.

Où donc s’arrêter,
Quand on ne court plus ?
Alors que tous sont à l’arrêt,
À se demander « Où cours-tu » ?

Un joli coin du sud, avec des arbres,
Où mourir en paix.
Quand on est statique,
Seule l’hébétude a de l’intérêt.

Écrire des vers en prenant le soleil,
Faire des anagrammes,
Vivre une vie détestable,
Entre merveille et vermeil.

Cette idée a de beaux atours :
Rester assise sur mon cul,
Regarder les autres s’agiter,
Et claquer chacun leur tour.

Ah quelle belle vie,
Que cette vie qui m’attend !

Montrouge, janvier 2010

Considérations de vivant

Saturday, February 27th, 2010

Considérations de vivant

La mort ne change pas de place
C’est la pensée qui évolue
Elle lui tourne autour

La mort ne laisse pas de trace
C’est le regret qui fait sa crue
Sur la fin de nos jours

La mort ne nous regarde pas
C’est un point de vue
Dont on fait inlassablement le tour

Les morts ne nous regardent plus
Les vivants se retrouvent face-à-face
Et se voient dans ce mouroir

Les morts ne nous attendent plus
Ils restent sous la terre nue
Et les vivants se déplacent

Les morts ne réclament plus
Ils ont bien ou mal vécus
Et les vivants se sentent coupables

Les morts ne souffrent plus
Ils sont libres
Et les vivants sont leurs esclaves.

Mulhouse, le 28 octobre 2009

Ta main

Tuesday, September 29th, 2009

Ta main

Il n’y a plus de réveil que violent
Chaque matin je reprends conscience d’un fait
Tu es morte, maman
Et moi je dois vivre quand même.

Bien sûr je pense à me tuer
Puisque tu étais tout, maman
Mais ton désir que je vive
En est un élément.

Sans toi ce n’est plus exister
Ce n’est plus vivre vraiment
Alors je vais survivre, au sens premier
Surexploiter l’instant.

Mon bonheur je te l’ai promis
Sur ton lit de mort, maman
Plus de pudeur ou de compromis
Je vais achever ce roman.

Chaque heure écrira sa ligne
Dont je serai l’auteure réjouie
Et toi la muse, maman
Souviens-toi comme on se moquait
De la mort et des vivants

Désormais j’écrirai
Une vie sans lendemain
Agrippée à chaque moment
Pour m’amuser encore longtemps
Et ne jamais lâcher ta main.

À ma mère, Montrouge, le 29 septembre 2009

Description de la mort

Tuesday, September 29th, 2009

Description de la mort

Je n’arrive pas à écrire sur ta mort.
Il y a ce vieux tee-shirt, là
Accroché au-dessus de mon lit.
Tu le portais ce jour-là,
J’y sens ton odeur encore.
Il y a l’agrandissement d’une mammographie, ici
Encadrée au-dessus de mon lit.
La photographie de ton sein,
Avant le carcinome malin.
Il y a une bague à mon doigt,
La bague en diamants de ta grand-mère,
Qui est trop grande.
Il y a de la lavande, juste là
Posée sur la table,
Qui vient du cimetière.
Il y a le bibelot que tu m’as offert, ici
Posé sur la hifi,
Deux êtres enlacés.
Il y a le collier que je t’ai offert, aussi
Suspendu près de la fenêtre,
Que souvent tu portais.
Il y a ton gilet violet, plus loin
Pendu dans l’entrée,
Je ne me souviens plus si c’était le tien ou le mien.
Il y a des photos du passé, tout près
Collées sur le mur au-dessus de ma tête.
Et puis là, présent, sur la table de chevet,
Il y a le téléphone,
Que je ne décroche plus.
Il y a le téléphone,
Qui reste muet.
Il y a le téléphone,
Le silence absolu.

À ma mère, Montrouge, le 16 septembre 2009

Cuisine du ça

Sunday, September 20th, 2009

Cuisine du ça

Schisme interne
La mère et l’enfant meurent
Au menu du schizophrène
Tous les morceaux de moi m’écœurent
Je goûte un plat réchauffé
Qui m’avait donné des nausées
Les autres ont des dents
Les autres mordent dedans
Je cuis à feu doux dans ce restaurant
Je prends le goût du pathos
Je cuisine thanatos.

Mai 2007