L’instrument et le destin
L’instrument et le destin
Un piano s’encrassait dans le grenier sordide.
En bas, au magasin chic, les vendeurs avides
Refourguent aux clients naïfs des instruments
Bas de gamme à des prix absolument déments.
Tout va pour le mieux pour l’économie marchande :
Les clients comblent leurs inutiles demandes,
Les vendeurs ne s’offusquent pas d’être véreux.
Le piano négligé devenait poussiéreux.
Car peu de musiciens au milieu des clients
– Il vaut mieux former des citoyens travaillant –
Et peu de mélomanes parmi les vendeurs.
Malgré tout, le piano conservait sa splendeur.
Quand, une après-midi au soleil cajoleur,
Une virtuose entre en robe rouge à fleurs.
Elle essaie quelques clinquants claviers insipides.
En haut, le piano s’enfonçait dans le morbide.
La belle dame sait le piano qu’il lui faut
Et ne trouve que des instruments sonnant faux.
Désabusée, l’artiste s’apprête à sortir.
Le piano endurait sans répit son martyr.
Le vendeur, voyant fuir sa proie, est sous le choc
Mais, prévoyant, il connaît l’état de ses stocks.
Il vante à la dame l’oublié du grenier.
Le piano abritait des toiles d’araignée.
Malgré que le grenier sentait le renfermé,
Au premier regard, la connaisseuse est charmée.
Seul le destin sait créer des instants ainsi.
Fasciné, le piano aimé aimait aussi.
Tous deux quittent la prison au silence lourd
Pour remplir l’Univers de leurs notes d’amour.
Avec le concours de ces amoureuses mains,
Le piano connaît toute l’œuvre de Chopin.
Voilà que le rêve devient réalité.
Dans leur salon à l’accueillante intimité,
La pianiste ensorcelée rayonne de joie
Et le piano ressent la caresse des doigts.
2000